Dernière épreuve
Réveillée bien avant l'heure nécessaire, j'essaye de gagner quelques minutes
de repos supplémentaire... Rien à faire... Mon cerveau est déjà en ébullition
et mon corps préfèrerait se retrouver sur ses deux jambes, libre de ses
mouvements... Je renonce, je me lève.
Je tente de m'attacher à ce que je fais, préparer le petit déjeuner,
sortir le thé de son sachet, le mettre dans la théière, faire frissonner l'eau,
verser... Je fais griller quelques tartines...
Pour être encore plus sûre de ne pas trop cogiter à ce qui m'attend, je prend
mon petit déjeuner devant mon ordinateur, je lis des blogs, je regarde des
photos... Je lutte contre le trac, le stress, les mains moites... Une soeur
sourire me décroche un rire comme une bonne surprise... Je prends une bouffée
d'air.
Je m'habille, dans ce genre d'épreuve, fût un temps ou je me serais apprêtée.
Là, non, je veux me sentir bien, être ce que je suis, comme d'habitude. Je vais
devoir improviser une séance de travail de 45 minutes avec des élèves que je ne
connais pas sur un texte dont j'ignore encore tout pour le moment. Je me répète
en boucle que je fais ça chaque début d'année. Je me retrouve en face d'élèves
dont j'ignore tout et j'improvise une séance pour faire connaissance.
J'improvise toujours la première séance, j'ai remarqué que ça m'allait mieux,
une question d'obligation d'adaptation, je suppose.
Bref, me voilà prête, je pars chercher la voiture qu'un ami me prête pour aller
jusqu'en Avignon. C'est là bas, au conservatoire, en face du Palais des Papes
que se déroule l'épreuve.
J'arrive chez cet ami, je suis en avance, ça le fait rire, il fait comme
d'habitude, il se moque de moi, ça a le mérite de me détendre. Il me propose
un thé. Nous parlons de l'épreuve, de son déroulement. Cette personne me
soutient depuis le début des examens, il m'a prêté des livres, m'a beaucoup
poussé pour que je le passe, je le remercie au passage.
Nous allons jusqu'à sa voiture, grande, confortable, facile à conduire, du
velours pour la route...
Je passe un petit coup de file à mon Il : " Voilà, c'est partie - bon
courage, je pense à toi- je t'aime - je t'embrasse- ". Me voilà seule
vraiment maintenant, j'ai deux heures trente de voyages pour m'enfoncer dans la
concentration. En vérité j'aime conduire, j'aime ce moment où, à la fois je
dois être concentrée sur la route et où, en même temps une partie de ma tête
est déjà en train de passer l'épreuve.
Je vois beaucoup de jaune sur les bords de route, mimosas et autres splendeurs,
je me dis : " tiens j'écrirai mon voyage vers l'épreuve"
J'avale les kilomètres, dans l'autoradio il y a une cassette de Cabrel.
Chanteur pour midinette aux images pas toujours subtiles, mais je ne sais
comment il fait, ça prend, j'aime bien Cabrel... Beaucoup de nostalgie, de
douceur, de temps en temps un trip un peu folk... Bref c'est parfait pour la
route... Mon esprit dérive entre souvenirs d'un temps ou je l'écoutais en
boucle, mes 10 ans, j'adorais la "dame de haute Savoie" et ce temps
présent qui me rapproche de la dernière épreuve du D.E d'enseignement du
théâtre.
J'arrive en Avignon bien avant l'heure de ma convocation. J'ai le temps d'aller
manger une crêpe dans un bar. Je prends un bouquin, j'y reste une heure. Mes
mains sont de plus en plus moites, mon esprit à de plus en plus de mal à suivre
ce que je lis... Je renonce...
Je vais faire un tour dans les jardins du Palais des Papes. Je tombe au coeur
d'une manifestation contre le contrat première embauche. Dans les jardins,
presque sur chaque banc il y a un couple de jeunes tourtereaux. La manif a cet
avantage, pas au lycée, légèrement éloignés du centre du regroupement, ils
peuvent se retrouver tout à leurs amours... Et oui, il y a des priorités dans
la vie et bien sur, s'embrasser sur un banc à l'abri des regards et du vent en
est une... Ce qui est amusant c'est qu'ils sont si nombreux ce jour là.
L'heure passe, je regrette de ne pas avoir emmené mon appareil photo, il y
avait tant de choses à saisir...
Je vais me présenter à ma convocation.
On me met dans une pièce avec un formulaire, qui m'explique le déroulement de
l'épreuve. Il y a un premier tirage au sort parmi 22 possibilités, ces 22
contiennent chacune trois textes. Le candidat devra faire un choix dans ces
trois là.
On m'indique qu'il y a cinq élèves. J'en saurais un peu plus quand je serais
présentée au jury.
J'attends, quelqu'un d'autre est en train de finir son épreuve... J'attends. Je
suis dans un mélange d'excitation et de trac. Je respire, je me répète encore
que j'en ai vu d'autres. On vient me cherche pour me présenter au jury. Ce sont
les mêmes que pour l'oral que j'ai passé en novembre dernier. Ils se
souviennent de moi, la présentation est donc courte. J'apprends que les cinq
élèves ont entre 20 et 25 ans, qu'ils ont environ deux ans de théâtre derrière
eux, qu'il y a deux garçons et trois filles.
On me fait piocher en fermant les yeux dans une sacoche, je commence à
m'amuser, j'ai l'impression de participer au tirage du loto ou des chiffres et
des lettres. On me donne les trois textes... J'ai le choix entre Brecht,
LaBiche, Peter Handke... Je sais déjà que se ne sera pas Labiche, je le lis
quand même par acquis de conscience, non, ça ne m'inspire pas. Je lis Brecht,
c'est tentant, j'aime la poésie qui se dégage du texte, mais Brecht en même
temps c'est périlleux, un tel pilier du théâtre, il n'y a pas intérêt à faire
de contre sens. J'ai lu la dite pièce il y a un ou deux ans, j'en garde des
traces un peu floue. Peter Handke et son outrage au publique, olala, vu, revu
et corrigé, je me décide pour Brecht. On me renvoie dans mon petit coin, j'ai
quinze minutes pour préparer la séance de travail. J'en ai pris cinq. Je vais
faire une préparation physique sur le relâchement, la confiance, l'abandon. Je
mêlerais voix et corps pour ne pas y passer trop de temps. L'extrait est pour
deux garçons, je demanderais aux filles de créer un tableau parallèle à
ce que les personnages disent. Il est question d'une jeune fille pure qui
éveille le désir mais qui trop idéalisée devient inaccessible. Elles ont
de quoi faire.
On revient me chercher. Je me présente aux élèves. Je commence la séance de
travail. A partir de là, je ne me souviens pas de grand chose, sauf que j'ai complètement
oublié la présence du jury. J'ai donné un cours comme j'en donne depuis dix ans
maintenant. J'ai aimé travaillé avec ces jeunes gens, disponibles, curieux,
ouverts. Et puis un peu de chance, on m'a signalé qu'il me restait 5 minutes
quand l'élève sur lequel j'ai plus appuyé mon travail a eu un déclic sur ce que
je lui demandais. Je leur ai laissé la possibilité de me poser des questions
sur la séance de travail qu'on venait de faire, ça m'a permis d'apporter des
précisions. J’étais contente, tranquille, confiante.
On est passé à la deuxième étape, celle que j'appréhendais. Entretien avec le
jury sur le pourquoi du comment, sur les prolongements possibles... Je n'ai pas
le discours pédago très au point, je suis très instinctive. Il a fallu
justifier de mes instincts. Ils ne m'ont pas gardée longtemps, j'étais la
dernière de la journée. Je ne pourrais présumée de ce qu'ils ont ressenti.
En sortant de là j'étais contente d'abord parce que c'était fini, je me
sentais surexcitée. Les élèves m'avaient attendu pour discuter avec moi, j'ai
trouvé ça vraiment sympa. On a parlé du travail, c'était chouette. Je ris parce
que je me dis que même avec des inconnus qui ne me reverront jamais, je trouve
ce climat de discussions et d'échange après le travail.
J'appelle mon Il, je lui ai refait en boucle la séance. J'alternais entre :
" alors tu vois je lui ai répondu ça, je crois que c'était bien" et :
" j'espère qu'ils vont me le filer ce putain de diplôme!"...
Il m'a écouté avec beaucoup de patience... sourire... Et puis j'ai repris la
route, deux heures trente, de nuit.
Là, j'ai refait pour moi, en boucle, toute la séance et l'entretien qui avait
suivi. Sur la séance en elle même je n'ai pas eu de doute particulier parce que
j'ai été ce que je suis. Bien sur tout aurait pu être fait différemment, mais
j'ai confiance dans mes choix, fussent ils instinctifs... J'ai commencé à avoir
des doutes sur l'entretien. Là j'aurais du dire ça parce que c'est plus ma
vérité... Comme toujours, pas très performante dans ce genre de situations.
En résumé je me dis que je n'ai besoin que d'avoir au moins dix sur 20... Alors
j'y crois. Ce n'est pas un concours, c'est un examen, on n’est pas en
concurrence avec les autres candidats. Alors voilà... On verra bien... Réponse,
dans le courant de la semaine prochaine.
J'ai rapporté la voiture à cet ami, on a été boire une bière, la tension s'est relâchée.
Rentrée à la maison, coucou à mon Il, manger, mail aux amis qui m'ont laissé
des petits messages d'encouragement qui font chaud au coeur, et enfin, DODO!