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le blog de luciole
4 décembre 2005

Les religieuses au chocolat de madame la boulangère

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photo de Lorent

Pendant toute ma scolarité de primaire, j'étais chargée de prendre le pain pour toute la famille en sortant de l'école. La boulangerie se trouvait juste derrière. Nous allions avec quelques amies, nos cartables de travers sur le dos, dire bonjour à madame la boulangère. Je n'ai jamais su son nom, pour moi c'était "Madame la boulangère".

Ma mère avait un compte qu'elle réglait tout les mois. Toutes mes amies venaient acheter leur goûter chez madame la boulangère. moi je ne devais prendre que le pain... Mais la tentation était grande.
Un jour j'ai bravé l'interdit. J'ai demandé à madame la boulangère une religieuse au chocolat. J'étais tremblante... Madame la boulangère me regarda avec ses yeux espiègles de derrière ses lunettes et me dit: "C'est un bon choix... Ta maman est d'accord?"
Je m'entendis répondre: "oui!".
Elle  enveloppa la religieuse au chocolat, ce temps me parut infiniment long. Quand enfin j'eus cette merveille dans les mains, je me sauvais vite sans demander mon reste, de peur qu'elle ne me la reprenne. Je fis le tour du paté de maison et me retrouvait assise  au sommet de la petite butte, cachée au sein des herbes folles et des coquelicots. Je dégustais ma religieuse au chocolat, et savourais ce moment de bonheur parfait. Les religieuses au chocolat de madame la boulangère étaient absolument extraordinaires. Le chou était moelleux, la crème au chocolat toujours fondante, la chantilly était de la vrai chantilly faite main. La perfection faite religieuse au chocolat.

Puis je rentrais comme une innocente à la maison, avec mes quatre pains de campagne pour nourrir cette grande famille.

Seulement, cette expérience m'avait enhardie. Le lendemain, je redemandais une religieuse au chocolat, le surlendemain, et tout les jours qui suivirent. J'allais comme un rituel sur la butte me cacher au sein des herbes folles et des coquelicots pour déguster ce moment de bonheur intense, puis je rentrais avec ma tête d'ange à la maison. Personne ne me posait de question, personne ne remarquait la petite trace de chocolat laissé au coin de mes lèvres... J'avais mon secret, mon merveilleux secret.

Puis la fin du mois approcha et ma mère vint à la boulangerie pour payer sa note. Je n'avais pas fait le rapprochement, j'étais avec elle, lui tenant la main, mon regard innocent et confiant. Quand j'entendis ma mère dire à madame la boulangère: "Si cher? Qu'est ce qui c'est passé? Je n'ai jamais autant payé!"
Je devins livide, mes jambes se mirent à trembler, je compris que mon heure était proche, que plus jamais ma mère ne me ferait confiance, que j'allais recevoir le savon de mon existence. je jetais un regard timide à madame la boulangère, priant intérieurement qu'elle se taise et le miracle se produisît.
Madame la boulangère répondit d'un ton très sure à ma mère: "Oh mais vous avez eu le saint honoré ce mois ci pour l'anniversaire de votre mari!"
Ma mère accepta cette explication, je me demande encore si elles n'avaient pas décidé toutes deux d'ignorer ma faute plus que de ne pas la voir...

Le lendemain je vins chez madame la boulangère, commandais quatre pains de campagne et regardais les religieuses au chocolat dans leur vitrine quand j'entendis madame la boulangère me dire: "Les meilleurs choses ont une fin, je t'offre celle ci, mais c'est la dernière, la prochaine fois assure toi que ta maman est d'accord". Elle me fit un clin d'oeil en emballant "cette dernière religieuse au chocolat". j'en avais les larmes aux yeux.
Je mangeais "cette dernière religieuse au chocolat" comme si c'était mon dernier repas, tentant d'en savourer chaque  bouchée mais chacune avait un goût un peu amer, celui de l'adieu.

Je suis revenue des années plus tard dans le village de mon enfance, j'ai refait le chemin de mon école, à mon bras, mon amoureux. Sur le sentier, je lui ai dit mes peurs des deux chiens, des dobermans, et la maison de mon amie-ennemie, et les garçons, copains de mes soeurs qui se cachaient dans les haies pour effrayer la trouillarde que j'étais. Devant la maison de mon enfance nous nous sommes embrassés. Comme une boucle enfin bouclée, ce baisé me libérait. Puis nous sommes revenue vers l'école et comme la faim se faisait sentir je n'ai pas résisté. Nous sommes allé voir si la boulangerie était toujours là...

Elle y était, tout autour avait changé, mais la boulangerie était toujours là. J'entrais en serrant fort la main de mon amoureux. Madame la boulangère n'étais pas là, une jeune fille nous servie, je demandais une religieuse au chocolat avec le coeur battant de la petite fille que j'étais alors.
J'entrainais mon amoureux vers ma butte secrète, elle n'était plus là. A la place, il y avait une étendue d'herbe bien propre, sur un terrain bien plat. Nous nous y sommes assis. La religieuse au chocolat n'avait bien sur pas le même goût, mais ça n'avait pas d'importance, la magie était ailleurs, elle était dans les yeux de mon amoureux.

Je ne sais pas si ces religieuses au chocolat étaient véritablement exceptionnelles, peut être avaient elles surtout ce goût de l'interdit bravé, ce goût de secret, ce goût de moment rien qu'à moi, ce goût d'instants où je n'avais pas à faire plaisir, ou je n'avais pas à être un ange. Les religieuses au chocolat de "Madame la boulangère", mon premier pas vers la liberté... Pour toujours dans ma mémoire "Encrée"... Sourires...

Ce texte est ma participation au dyptique n°7 d'Akynou.

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Commentaires
L
Charmante histoire, tu as gardé l'habitude de tout vouloir? Le Flan, la boulangère, la fille de la boulangère? rires!!!! Pleins de bises!
M
A chacun ces histoires de gateaux, je me souviens d'une orgie de flan avec la fille de la boulangére, ça à mal fini pour mon estomac et je n'ai jamais revu la belle...bon il faut dire que j'avais que quatre ans et qu'elle m'apprennais déjà le merite des baisers sur la bouche...<br /> J'ai mis moins longtemps à embrasser une fille à nouveau qu'à remanger du flan...comme quoi ...
L
Pleins de bises pour continuer dans la douceur alors!
A
Une participation qui me donne envie de douceurs !
L
Guess Who: Bienvenu, merci de ton mot.<br /> Anitta: ah oui, tu as compris? tant mieux! Rire!<br /> Samantdhi: Oui, je suis d'humeur "happy end", on se demande pourquoi? Rire!<br /> Laparhasard: Douceur du dimanche en effet... Sourires et bises<br /> Elle_groggy: Plein de leçons? Je ne sais pas... La gourmandise comme premier pas vers la liberté alors! Sourire...<br /> Akynou: Cafteuse va! ;-)
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